Silent Conversation
— La Part du Feu, Bxl, 2024
« ‘Nous’, de notre côté, présumons être ceux qui ont accepté la dure vérité que nous sommes seuls dans un monde muet, aveugle et pourtant connaissable »[1]
SILENT CONVERSATION
À l’automne 2023, Evelyne de Behr participe à la dernière saison de Montemero Art Residency (MAR) en Espagne. Dernière, car le lieu ferme juste après, victime de l’extrême sécheresse qui frappe la région agricole d’Almería. C’est cette même terre que l’artiste décline ici en peintures, performance vidéo, et installations.
Dans la série Nuanciers des Couleurs de la Terre, elle mélange divers échantillons de terre de Montemero avec de l’eau et du sucre, puis les étale en une fine couche sur papier. Le geste est ancien : en effet, l’action de chercher la couleur à même le sol rappelle le savoir-faire des peintures rupestres, une technique qui se perd face à la sélection pré-faite de couleurs industrielles.
Le message est contemporain: dans J’ai bonne entente avec tout ce qui est beau, les tubes à essais remplis de terre d’Almería évoquent la distance qui se creuse entre humains et environnement. La peinture en tube, comme la plupart des objets qui nous entourent, nous distancie de la matière du monde, en rendant invisibles les insectes broyés dans la manufacture du rouge cochenille, ou les os brûlés qui donnent leur chaleur à certains noirs. En s’interrogeant sur l’écologie de sa pratique, Evelyne de Behr retourne à la source : elle retranscrit directement les jaunes, bruns, ocres du paysage espagnol sur ses toiles, rendant immédiatement perceptible le lien entre ses œuvres et leur inspiration.
L’artiste se tourne ensuite vers l’écriture: pendant sa résidence, elle demande aux personnes de son entourage de lui envoyer chacun.e un vœu pour la planète. C’est cette matière humaine qu’elle réinsère alors dans le monde, empruntant au principe des drapeaux de prière tibétains: dans La terre, c’est ma mère, c’est un autre résident du MAR qui écrit l’une des phrases reçues dans la poussière du sol espagnol, les mots s’effaçant progressivement avec le vent. D’autres vœux, que nous ne lirons pas, sont écrits avec de la terre sur un bateau en papier recyclé, que l’artiste fait voguer sur la mer méditerranée. Ainsi, Evelyne de Behr met en lien plusieurs lieux: les phrases proviennent de Belgique, d’Espagne, et d’ailleurs, et sont parsemées par le vent et l’eau pour atteindre de nouveaux horizons, imperceptibles. L’artiste est sensible aux mots, au danger du vocabulaire savant qui délimite les notions, comme les cadres noirs, sévères, qui entourent ses couleurs chaudes et évoquent un faire-part de deuil. Avec ses œuvres collaboratives et ses phrases vouées à disparaître, Evelyne de Behr puise dans la force poétique du langage, utilise les mots pour créer des correspondances plutôt que des définitions.
Ici, la terre d’Alméria se retrouve au sol, dans des phrases qui s’estompent au fur et à mesure de notre passage au travers de l’espace. Dans nos oreilles, le chant d’une espèce éteinte, le dernier oiseau O’O’, un mâle enregistré en 1979 en train d’appeler une femelle qui ne lui répondra jamais. Il y a un paradoxe là dans l’usage de la technologie, qui nous permet d’archiver ce que nous sommes en train de détruire. Evelyne de Behr nous propose une sortie de ce piège en employant dans sa création une diversité des langages du vivant, visuels et sonores, humains et autres, dont l’intersection est le début d’une nouvelle énonciation. Ainsi, elle développe une forme d’expression et d’écoute qui tisse des liens – entre nous, et avec le territoire que nous habitons.
Olivia Perce
“‘We’, on our side, presume to be the ones who have accepted the hard truth that we are alone in a mute, blind, yet knowable world”[2]
SILENT CONVERSATION
In the fall of 2023, Evelyne de Behr took part in the final edition of the Montemero Art Residency (MAR) in Spain. Final because the program was then shuttered, one of many victims of the extreme drought currently affecting the agricultural region of Almería. It’s this same soil which the artist uses here in paintings, video performance, and installations.
In the Nuanciers des Couleurs de la Terre series, she mixes various samples of Montemero earth with water and sugar, then spreads them in thin layers on paper. The gesture is ancient: indeed, the action of searching the ground for colors recalls the ingenuity of prehistoric artists, the skills which are being lost with the availability of pre-mixed colors.
The message is contemporary: in J’ai bonne entente avec tout ce qui est beau, test tubes filled with Almería earth evoke the growing distance between humans and the environment. Like most of the objects which surround us, paint tubes distance us from the matter of the world, from the crushed insects which are used in the manufacture of cochineal red, or the burnt bones that give certain blacks their warmth. By reflecting on the ecology of her practice, Evelyne de Behr returns to the origins of representation: she directly transcribes the yellows, browns and ochres of the Spanish landscape onto her canvases, making the link between her works and their inspiration immediately perceptible.
The artist then turns to writing: during her residency, she asked people around her to each send her a wish for the planet. It’s this human material which she reinserts into the world, borrowing from the idea of Tibetan prayer flags: in La terre, c’est ma mère, another MAR resident writes one such wish into the dusty Spanish soil, the words gradually blowing away with the wind. Others, which we won’t read, are painted with earth onto a boat made from recycled paper, which the artist then released into the Mediterranean Sea. In this way, Evelyne de Behr creates a link between several places: words from Belgium, Spain, and elsewhere are scattered by wind and water to new, imperceptible horizons. The artist is sensitive to language, to the danger of ideas being imprisoned by categories, like the severe black frames which surround her warm colors, evoking the standard format of a death announcement. With her collaborative works and phrases destined to disappear, Evelyne de Behr draws on the poetic power of language, using words to create correspondences rather than definitions.
Here, the soil of Almeria is at our feet, in phrases which fade as we travel through the space. In our ears, the song of an extinct species, the last O’O’ bird, a male recorded in 1979 calling for a female who will never answer. There’s a paradox here in the use of technology, which allows us to archive what we are in the process of destroying. Evelyne de Behr offers us a way out of this trap, by using a variety of languages in her work: visual and auditory, human and non-human, whose intersections are the beginning of a new enunciation. In this way, she develops a form of expression and listening which weaves links – between us, and with the territory which we inhabit.
Olivia Perce
[1] Isabelle Stengers, “Reclaiming Animism”, 2012
[2] Isabelle Stengers, “Reclaiming Animism”, 2012